1- Afin de ne pas rester en marge de la mondialisation, les Etats africains face à la tendance au regroupement des systèmes juridiques qui se développe en Europe et en Amérique cherchent à réaliser l’intégration1. C’est ce qui explique la poussée d’organismes d’intégration aussi bien en Afrique Centrale qu’en Afrique de l’Ouest2. Les Etats ne se contentant pas de simples unions douanières instituées à partir d’engagements réciproques pris dans le cadre de simples traités de commerce3, cherchent de manière substantielle à intégrer les économies nationales au sein d’un marché unique.
L’OHADA4 n’est pas éloignée de ces préoccupations intégrationnistes. Partant du constat du caractère disparate, diversifié et vétuste5 du droit des affaires applicable dans les anciennes colonies françaises, l’idée d’une harmonisation couplée d’une modernisation du droit des affaires en Afrique est née. C’est ainsi que l’OHADA a vu le jour le 17 octobre 1993 à Port-Louis.
2- Les objectifs de l’OHADA apparaissent très vite dès le préambule du Traité de 1993 ainsi que du Traité révisé en 2008 au Québec. Il s’agit pour l’OHADA d’unifier tout en modernisant la législation des pays d’Afrique francophone6 dans le domaine du droit des affaires, afin de créer un climat de confiance en faveur des économies de leurs pays. La finalité de l’OHADA est donc l’unification du droit pour « faire de l’Afrique un pôle de développement7 ». Ainsi, la sécurité juridique et judiciaire est l’objectif médiat, tandis que le développement économique de l’Afrique est l’objectif à long terme. De ce fait, l’OHADA se singularise des autres organismes d’intégration en Afrique. Comme l’affirme le professeur Paul Gérard POUGOUE, « l’intégration juridique telle qu’incarnée par l’OHADA constitue
une véritable rupture épistémologique en Afrique8 », car contrairement aux autres organismes d’intégration économique, l’OHADA ne part pas d’un espace économique intégré pour induire quelques principes juridiques communs, mais, plutôt de l’idée que l’intégration économique doit être précédée d’une intégration juridique.
Toutefois, il faut relever que l’OHADA n’est pas la seule, ni la première entreprise d’élaboration d’un ordre juridique communautaire en Afrique, on peut citer l’OAPI9, le CIPRES, la CIMA10. Mais la spécificité de l’OHADA vient du champ spatial et matériel de l’OHADA.
3- Sur le plan spatial, l’OHADA englobe les pays d’anciennes colonies françaises, espagnoles et belges de l’Afrique noire, aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique centrale. Il compte actuellement 17 pays avec l’adhésion récente du Congo11. Sur le plan matériel, l’OHADA vise à uniformiser le droit des affaires dans l’ensemble de ces pays. Les contours de ce droit des affaires n’ont pas encore clairement été définis, l’OHADA ayant une conception large du droit des affaires12.
4- Sa spécificité résulte également de ce que l’accent a été mis sur la supranationalité qui permet d’introduire directement les normes dans l’ordre juridique interne des Etats-parties sous la forme d’Actes uniformes. Les Actes uniformes sont directement applicables dans les Etats et abrogent toute disposition antérieure ou postérieure contraire13. A ce jour, neuf Actes uniformes ont été pris et d’autres sont en voie de préparation. Le dispositif mis en place permet de renforcer la sécurité juridique.
5- L’OHADA a aussi entendu mettre un terme à l’insécurité judiciaire, en fiabilisant le système judiciaire, car celui-ci était considéré comme peu fiable. Etant donné qu’un environnement légal structuré ne permettrait pas à lui tout seul d’attirer les investisseurs14, il
fallait aussi penser au volet judiciaire de la sécurité .Il l’a fait en instituant une Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). La CCJA est l’interprète et le garant du droit OHADA. Les tribunaux de première instance et les cours d’appel sont au premier chef en charge de l’application du droit OHADA. Néanmoins, le contrôle ultime de l’interprétation et de l’application du droit revient à la CCJA, qui joue le rôle d’une juridiction de cassation à
l’exclusion des cours suprêmes nationales dans le domaine du droit uniformisé15.
6- La CCJA n’est pas seulement une juridiction supranationale ; elle est aussi un centre d’arbitrage. En effet, un arbitrage institutionnel a été créé sous l’égide de la CCJA, avec la particularité que la CCJA contrôle elle-même les sentences arbitrales rendues sous son égide16. L’OHADA a également uniformisé les procédures toujours dans le cadre de la sécurisation de l’environnement judiciaire. C’est ainsi qu’un acte uniforme relatif à l’arbitrage, ainsi qu’aux voies d’exécutions et aux procédures collectives ont été adoptés.
7- Ces différents textes relatifs aux procédures dans l’espace nous amène à nous poser des questions sur l’existence d’un espace judiciaire OHADA. En fait, le législateur OHADA a sans le vouloir créé un véritable ordre juridique propre17. Il est admis aujourd’hui que le véritable ordre juridique n’est pas seulement celui de l’Etat, mais qu’il existe aussi des ordres infra-étatiques ou trans-étatiques18. L’ordre juridique est à la fois un « ordre normatif » et un
« ordre judiciaire ». L’ordre normatif OHADA est constitué de l’ensemble des normes issues des Actes uniformes ; tandis que l’invocabilité ou la justiciabilité des normes édictées entraînant l’obligation pour les juges d’appliquer les Actes uniformes est constitutif de l’existence d’un ordre judiciaire. Par ailleurs certaines procédures ont été uniformisées, c’est le cas des voies d’exécution, des procédures collectives internationales et les sentences arbitrales.
8- La question que l’on peut dès lors se poser est celle de savoir si en recherchant…
1 V. A. DIOUF, Propos introductifs lors de la troisième rencontre inter-juridictionnelle des cours
communautaires de l’UEMOA, la CEMAC, la CEDEAO et l’OHADA, Dakar 4,5,6 mai 2010.
2 Notamment, la CEMAC en Afrique centrale, l’UEMOA en Afrique de l’Ouest.
3 Comme dans le cas de la CEEAC ou de la CEDEAO.
4 Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique
5 Sur l’état du droit en Afrique noire francophone avant l’OHADA, voir K. MBAYE, « L’histoire et les objectifs de l’OHADA », petites affiches n° 205, 2004, p.4 ; P. G. POUGOUE, préface à l’ouvrage de Mme Angeline F. NGOMO , Guide pratique du droit des sociétés commerciales au Cameroun, Yaoundé, 1ère PUA, 1996.
6 A l’origine, mais actuellement l’OHADA est ouvert aux pays de la Common Law.
7 Préambule du traité OHADA révisé.
8 P. G. POUGOUE, « OHADA, instrument d’intégration juridique », RASJ, vol.2, n° 2, 2001, p.11.
9 Organisation africaine de la propriété intellectuelle
10 V. A. AKAM AKAM, « L’OHADA et l’intégration juridique en Afrique », in Les mutations juridique dans le système OHADA, l’Harmattan, Yaoundé, 2009, p.11 et s.
11 Ces dix-sept pays sont : le Cameroun, la République centrafricaine, le Gabon ,le Congo ,la Guinée- équatoriale, la Guinée Bissau, le Thad, le Niger, le Sénégal, le Mali, la Côte-d’Ivoire, le Togo, le Bénin, la
République islamique des Comores, le Burkina-Faso, la République démocratique du Congo, la Guinée.
12 Voir article 2 du traité OHADA.
13 Article 10 du traité OHADA.
14 B. COUSIN ; A. M. CARTRON, « La fiabilisation des systèmes judiciaires nationaux : un effet secondaire
méconnu à l’OHADA », http://www.ohada-com; ohadata D-07-30.
Véronique carole NGONO (Assistante à la FSJP de l’université de Douala)